Tu t'appelles Ariès Yves Bouchet, mais Ariès ça suffit. T'es né à Bordeaux, mais t'as grandi à Seattle. Tu parles couramment le français mais tu préfères l'anglais, les filles disent que ton accent est "sexy" alors t’utilise la langue de Molière seulement pour les séduire. T'as vingt deux ans, t'es plus un enfant mais t'es pas encore adulte. Tes parents ont beaucoup d'argent mais pas le même sang. Tu ne les connais pas vraiment; en fait tu ne les connais pas du tout. T'es plutôt beau garçon, sans prétendre être Mister Univers. T'es intelligent sans un être un surdoué notoire. T'es sportif, passionné de natation. T'as été champion une fois, puis deux, et tu rêves à un troisième titre. T'es pas méchant, mais t'es pas un ange non plus. Finalement t'es un peu comme tous les autres, t'es différent. Tu veux juste pas l'avouer. Tu gardes tes secrets et tu les enfermes dans ton cœur, si bien que je te connais peut-être encore mieux que toi-même. Voilà pourquoi c'est moi qui raconterai ton histoire. 

J'étais assise sur un banc, toute seule, comme d'habitude. Je regardais le monde tourner, une clope à la bouche et une bière à la main. Pas très glamour pour une fille, je n'ai jamais voulu l'être. J'men fou du regard des autres, pas du tien. T'es passé devant moi ce jour-là, une première fois. Tu étais beau, avec tes cheveux blonds en batailles et tes petits yeux bleus vitrés par le trop-plein de cannabis. Tu ne m'as surement pas vue, et moi, je n'ai cessé de te dévorer des yeux. Finalement, je me suis grillée une autre cigarette.

Je laissais le temps passer, le jour s'éteindre et la nuit tomber. Toujours assise sur mon petit bloc de marbre. T'es repassé devant moi. Cette fois tu m'as sourit et j'ai souri aussi. Tu t'es approché et tu m'as dit : « Qu'est-ce que tu fais ici ? » J'ai écrasé ma cigarette avant de te répondre « Rien du tout. » Le silence a fait le reste.
Tu m'as regardé dans les yeux, une seconde, deux secondes, puis dix, puis quinze et j'ai fini par arrêter de compter. « T'es toute seule . » J'ai baissé la tête et je ne t'ai pas répondu. Et de nouveau le silence.
Tu t'es assis à côté de moi et t'as sorti un joint de ton paquet de cigarettes. « Très bien, je resterais seul avec toi alors. » On a fumé en regardant le monde s'éteindre, tu n'as pas dit un mot, moi non plus.

Au bout d'une heure, tu t'es levé et tu m'as tendu la main.
« Viens avec moi. »
« Tu veux qu'on aille où ? »
« On va vivre. »
Je n'ai pas attendu longtemps avant de te tendre la mienne. Tu m'as arraché à mon petit banc de solitude et j'ai quitté le néant.
On a bu toute la nuit, et on a dansé jusqu'au matin. Puis on est allé chez toi, c'est ce que font tous les mecs après tout. Pourtant, il ne sait rien passé de compromettant. On s'est posé sur ton lit et on a parlé. Je ne sais pas si c'était l'alcool ou de la nostalgie mais tu t'es ouvert à moi pour que je puisse lire au plus profond de ton cœur. Ce que j'y ai découvert ne te ressemble pas.

T'es né dans un hôpital à Bordeaux, t'as mère t'y a laissé sans aucun regret. Tu l'as jamais connu et tu veux surement pas la connaitre. En fait la seule chose que tu lui souhaites aujourd'hui ça serait un truc comme le Sida ou Ebola pour être dans l'actualité. C'est tout ce qu'elle mérite. T'as grandi dans un orphelinat. C'était pas vraiment la belle vie, mais t'étais encore trop petit pour comprendre. T'avais juste huit ans quand ils sont venu te libérer, Charles et Britney Bouchet. Le parfait petit couple américain, qui ne peut pas avoir d'enfant. Charles est français d'origine et il a exigé d'avoir un gosse français. T'as bonne fortune t'as souri ce jour-là, tu t'en rends bien compte aujourd'hui.

T'as retroussé tes manches et tu les as suivi. T'as pas vraiment eu le choix. Ils t'ont fait traverser l'Atlantique en te promettant un avenir radieux. T'as dû apprendre l'anglais, ça pas été facile. Papa et Maman t'ont mis à l'école, grosse erreur. T'étais timide à l'époque, les autres te voyaient comme une attraction ou un jouet. Plutôt un jouet. T'en garde pas un bon souvenir. Juste un flot de larmes et une pointe d'humiliation. Alors tu t'es renfermé sur toi même, tu restais seul par peur d'être blessé encore et encore. C'est là que t'as commencé à te forger ton armure, pour protéger ton petit cœur de porcelaine. Mais t'étais pas encore prêt.

Par la suite est venu l'adolescence et ses premiers émois. T'étais un grand maintenant, maman et papa n'avait plus vraiment le temps de s'occuper de toi. M. et Mme Bouchet est diplomate, ils sont souvent absents. Ils ne te laissent comme satisfaction que de l'argent sur ton compte pour te démerder seul. T'avais seize ans, T'entrais en deuxième année, au lycée de l'académie Franklin. Comme ton papa de substitution avant toi. C'est là que tu l'as rencontré, c'est là qu'elle t'a ensorcelé, c'est là qu'elle t'a rendu folle, accro, totalement dépendant à l'amour. Et c'est aussi là qu'elle t'a détruit, qu'elle a démoli ton armure et qu'elle a éclaté ton cœur. Camille, ou le stéréotype de la garce en puissance. T'étais déjà célèbre mais pas encore respecté. T'étais vue comme le petit français coincé qui sait pas vraiment c'qu'il fou là. Elle, c'était la petite gamine qui s'amuse à mener la vie dur aux plus faibles. C'était pas vraiment une fille pour toi.

C'est elle qui est venu à toi, t'as commencé par te méfier mais tu t'es vite laissé séduire. Elle t'a fait vivre un paradis dans l'enfer de la jeunesse. Elle t'a fait découvrir les joies du monde, l'alcool, la drogue, le sexe... Surtout le sexe. Elle t'a aussi montré que l'absence de tes parents pouvait être bénéfique. C'est sous son influence que t'as commencé à organiser tes petites soirées, enfin qu'elle organisait ses petites soirées. Elle sait longtemps servit de toi pour son propre intérêt, et toi t'as pas vraiment vu venir le truc. Aveugle d'amour. C'était pas une fille pour toi, tout le monde te l'avait dit. Et ils avaient raison.

Elle a fini par se lasser de toi, elle t'a largué du jour au lendemain, sans rien dire. Juste comme ça. Elle t'avait fait renaitre en l'espace de quelques mois. T’étais sorti de ta timidité pour te faire découvrir le monde. Mais après ta rupture, t'es rapidement redevenu celui que tu étais. Cependant, une chose n'a jamais changé : La baraque de tes parents était devenu un lieu incontournable, parfait pour des soirées de débauche.

Dans ta tête ça a fait TILT. Camille t'avait offert un semblant de reconnaissance vis-à-vis d'autres, ils te considéraient enfin. On te demandait à quand la prochaine fête. T'as donc comblé le manque affectif dans ton cœur par autre chose. Un brin d'orgueil, un peu d'alcool et beaucoup de drogue. Camille t'avait abandonné, pas tes nouveaux amis. Maintenant tu fréquentais les plus grands et t'as commencé à adopter leur philosophie. Écrases les où ils t'écraseront. C'est la dure loi de la vie et tu commençais tout juste à le comprendre.

L'année d'après t'était quelqu'un d'autre. Fini le petit garçon timide, t'était devenu un vrai ado dévergondé. Les filles, tu t'en préoccupais plus vraiment. L'amour était mal venu, après cette salope t'étais devenu un véritable Anti-Vénus. T'étais pas non plus devenu un connard, juste qu'elles savaient à quoi s'attendre avec toi. T'étais au sommet de la hiérarchie social et t'aimais ça. Tes résultats en natation t'ont aussi beaucoup aidé à y garder ta place. Et depuis tu vis comme un prince sans te soucier du reste. Tu sais très bien que la majeur partie de tes amis se servent de toi mais ça t'es égal. Tu préfères ça à l'humiliation constante. Ça fait longtemps que t'as renfermé tes sentiments ton cœur, c'est un peu comme ta boîte de Pandore; tu ne l'ouvriras plus, jamais. Pis on s'est connu, on a flirté, tu t'es ouvert, un peu plus chaque jour. Encore une grosse erreur.


Les vacances, c'est beau, c'est bien. Ça repose... Ou pas. C'est avec toi que j'ai passé le plus clair de mon temps. On a fait la fête, on a rit, on a oublié le monde. Ensemble on était bien et je ne voulais que ça. Mais pas toi. Et ce soir-là, j'lai bien comprit. On rentrait de soirée, tu t'en souviens . Bien sur que tu t'en souviens. J'habite pas loin de la boîte dans mon p'tit appart' d'étudiant. Tu m'as accompagné jusque chez moi mais t'étais pas vraiment en état de rentrer. J'tais dit de rester avec moi, j'aurais pas dû. On s'est posé sur mon lit, et on a parlé comme la première fois.

Pis on s'est regardé, dans le silence. Et tout est allé vite, trop vite. Un sourire, caresse, un baiser, ton corps contre le mien, toute la nuit. C'était beau, c'était magique, c'était divin. T'avais dit que tu voulais me faire vivre, t'as réussi. Mais c'était juste une nuit. J'me suis endormi dans tes bras, comme j'ai toujours rêvé de le faire. Mais le lendemain, t'étais pas là. Pas un message, pas un appel. Rien, rien du tout. Je retrouvais le néant, tu m'avais abandonné. J'étais seule.

J'tais pas revue avant la rentrée. Et j'tais littéralement sauté dessus. J'étais furieuse et toi, t'en avais rien à faire. T'étais avec tes nouveaux potes, ceux qui ne te connaissent pas, qui ne veulent pas te connaitre.

« Salaud ! Ordure ! Connard ! »

C'est sorti du fond du cœur. T'as quand même réagi, t'as plus l'habitude qu'ont t'insultes comme ça. T'as dit aux autres que tu les rejoindrais plus tard et on a parlé. Enfin.

« Qu'est ce qui t’arrive ?! »

La question tue. La question qui t'fait tourner la tête.

« T'aurais pu m'appeler, ou m'envoyer un message j'sais pas ! »
« J'avais plus rien à dire. »
« Bah moi si ! »

Un soupire. T'as croisé les bras, tu m'as regardé dans les yeux. J'ai retenu les larmes.

« T'avais pas le droit de me faire ça fait ! Pas à moi ! »
« En quoi t'es différente des autres ? »
« J'suis dingue de toi ! J'taimes putain ! Et je sais que tu ressens la même ch... »
« Fermes-là. »

Un regard noir. Tu m'avais jamais regardé comme ça. Ça m'a fait reculer, pour la première fois, ta gueule d'ange me faisait peur. Et t'a fini par briser ce putain de silence.

« Arrêtes de dire des conneries ! J'ai passé des bons moments avec toi c'est vrai mais...Non y'a pas de mais.  »
« C'est pas une réponse ça... »
« Bah c'est la seule que t'auras ! »

T'as crié. J'crois que c'est la première fois que je t'entendais crier. Toi qu'étais si calme d'habitude. T'as continué à me hurler dessus pendant j'sais pas combien de temps. Je t'écoutais plus vraiment, j'me sentais humiliée par tes jérémiades. Quand t'as fini, j'ai sourit. C'était nerveux, j'ai pas pu m'en empêcher.

« J'pensais que t'étais différent mais, t'es comme les autres. Tu penses qu'à toi et tu te fou du reste. »
« C'est toi qui comprend pas... J'ai déjà donné. »
« T'as peur c'est tout.  » Un murmure.
« Peur ? De quoi ? » T'as ricané en disant ça, ça m'a encore plus mise en rogne.
« De l'attachement ! T'as peur de t'attacher à quelqu'un, t'as peur qu'on te fasse du mal ! Alors tu t'éclates et t'en a rien a foutre si tu fait du mal autour de toi ! »

T'as pas répondu. J'tai même entendu racler ta gorge. J't'avais touché, j'le savais. J'te connaissais par cœur maintenant, du moins j'pensais te connaitre. Et tu m'as encore regardé avec ce regard noir qui me glace le sang.

« Ah t'entendre j'suis un vrai connard ! C'est pas parce que ma mère biologique était une salope que ça fait de moi un fils de put.. »

Une gifle. Elle aussi elle est sortie du fond du cœur. J'ai tout de suite regretté, mais c'était trop tard. T'as caressé ta joue et tu m'as souri. Toi aussi c'était nerveux. Et t'as porté la dernière estocade en une simple phrase : « J'veux plus te voir, jamais. » Pis t'es partis. Voilà c'était fini. J'ai retenu mes larmes le temps de me réfugier aux toilettes. Et j'ai pleuré, oh si tu savais tout ce que j'ai pleuré pour ta gueule. T'avais raison, l'amour c'est un poison. Ça envahit ta tête, ton cerveau, ça bousille ton corps et ton cœur. Et j'arrive pas à t'en vouloir, j'arrive pas à te sortir de ma tête. J'sais que t'as besoin de moi, t'as besoin d'amour, t'as besoin de l'affection que t'as jamais eu. Alors arêtes, arrêtes de fuir ou tu finiras par te perdre. Pour toujours.

smmg