« Charlotte, tu es destinée à faire de grandes choses. » C'est ce que ses parents lui avaient toujours répété durant son enfance... Vingt-sept ans. Appartement pourri. Vie sociale quasi-inexistante. Professeur. Presque docteur. Situation économique désastreuse. De grandes choses hein ? Ouais son cul.

« Bon aller. Cassez-vous d'ici ! » Leurs gueules de déterrés lui donnaient des envies de scalpation. Ses doigts frappaient machinalement sur le pupitre tandis que ses élèves sortaient de l’amphithéâtre. Ne restait finalement plus qu'un occupant. Un connard endormi dès les premières minutes de cours. « J'ai dit dehors ! » Elle ramassa une craie qui lambinait à portée de main. Le projectile improvisé partit en direction du puceau (oui parce qu'avec cette tronche et ce comportement, il ne pouvait que l'être) baveux. Raté. Merde. Charlie leva les yeux au ciel dans un dernier élan de désespoir puis rangea ses affaires et quitta la salle. Une clé. Une serrure. Un tour. Deux tours. Tant pis pour lui. Parfois, elle se demandait encore comment elle était passée de brillante-doctorante-suant-littéralement-de-la-thune à doctorante-clocharde-forcée-d'enseigner-en-parallèle-pour-ne-pas-se-retrouver-à-dormir-dans-son-tacot-fossilisé. Putain. Nom d'un lama frisé unijambiste ! Vie de merde quoi. Ceci dit, elle avait trop d'égo pour retourner ramper devant ses parents. Trois ans. Trois ans déjà qu'ils ne se parlaient plus. Ils avaient dynamité les ponts. Les avaient réduit à l'état de cendres fumantes. Et depuis, c'était silence radio.

A peine la porte d'entrée passée qu'une tête brune courait déjà dans sa direction. Tiens. Le monstre. Elle l'avait presque oublié. Ou pas. Bref. « Tatie Chaaaarlie ! » Elle lui ébouriffa les cheveux puis partit s'affaler sur le canapé, profitant de cet instant de répit... Avant que le sale gosse ne décide de jouer à saute-mouton sur son estomac. Pourquoi ? Pourquoi tant de haine ? Elle n'aspirait qu'à un peu de repos. Sa colocataire sembla sentir la détresse émaner de Charlie, puisqu'elle arriva en trombe dans le salon, poêle encore en main. « Ça suffit Duncan ! Descends de là tout de suite ! » Le gamin, l'air coupable, descendit après avoir bien bousillé les tripes de son trampoline de fortune. Les joies de la collocation avec une mère de famille. Charlie sourit néanmoins. La jeune femme s'assit et invita le garçon à venir s'assoir sur ses jambes. Elle aimait sa vie de merde en fait. Du moins, cette partie là. Elle aimait l'ambiance chaleureuse qui se dégageait de son appartement moisi. Elle aimait ce sale gnome. Elle aimait détester la terre qu'il foutait partout quand il revenait du parc. Elle aimait détester les limaces qu'il gardait pour animaux de compagnie. Elle aimait le voir se faire réprimander par sa mère. Elle aimait sa vie de famille pas si famille que ça. Une famille choisie, et non pas donnée... Bon d'accord, ce n'était pas exactement le septième ciel, mais cette situation lui convenait.

« Putain mais t'as une santé de fer ! » Dit-il dégoulinant de sueur. Il était allongé sur le tatami. Charlie lui tendit une main pour l'aider à se relever. Les arts martiaux lui servaient à relâcher la pression. A ne pas étrangler ses ignorants d'élèves en plein cours. A tenir jusqu'à trois heures du mat' devant ses copies bourrées d'erreurs. A faire tourner son petit monde sans péter un fusible, en somme. Leur séance terminée, les deux "amis" retournèrent près du banc où étaient disposées leurs affaires. Elle vit son camarade sortir un passeport biométrique de son sac. « Tu vas quelque part ? » Elle leva un sourcil dubitatif à l'expression gênée de son partenaire de combat. « Ouais... J'ai besoin de changer d'air. » Elle haussa des épaules, ne sachant que dire. Les adieux, c'était pas trop son truc. Les camaraderies non plus d'ailleurs. « Euh... Bon voyage ? » Elle aurait bien rajouté "j'ai aimé te botter le cul", mais ça aurait été de trop. Quoiqu'il semblait presque pouvoir lire dans ses pensées. Il pouffa de rire et la prit dans une grande accolade. « Tu vas me manquer aussi, Charlie. » Elle se crispa. La jeune femme n'arrivait toujours pas à s'habituer à ces élans d'affection venus d'elle ne savait trop où. Au final, elle lui rendit. Après tout, c'était son demi-frère. Demi-frère inconnu pendant longtemps, mais demi-frère quand même.  

toi